La réalité a une âme de romancière et la ville de Rabat recèle une histoire digne de Robert Louis Stevenson ou de Joseph Conrad. Une vieille histoire pleine d’amours, de trahisons, d’ambitions et de mort, comme toute bonne histoire. Elle a commencé au début du XVIIe siècle, à Hornachos, un village de la région espagnole d’Estrémadure, et se poursuit aujourd’hui dans la capitale du royaume du Maroc.
La ville de Rabat s’étend sur la rive gauche de l’oued Bou Regreg. Située sur l’autre rive, Salé est rattachée administrativement – et par un pont – à la capitale. Il y a quatre cents ans, la situation était tout autre. Salé était alors une ville de pieux musulmans, et sur la rive gauche, il n’y avait que les murailles d’un ancien ribat (camp militaire et religieux) abandonné, à l’extrémité duquel, sur l’embouchure même du fleuve, se dressait une casbah bien protégée. La ville de Rabat doit son nom au mot ribat, et l’ancien camp fortifié et sa casbah (citadelle) forment l’actuelle médina et la casbah des Oudaïas.
La casbah, avec ses hautes murailles, constitue une forteresse à l’intérieur de la forteresse. Mais la médina n’a pas les dimensions saisissantes d’autres médinas marocaines. En la visitant, on a l’impression de parcourir un de ces labyrinthes des jardins baroques : compliqués mais charmants, faits à la mesure de l’homme et non du Minotaure. Ses étroites ruelles aux façades blanches, sur lesquelles se détachent des portes peintes en bleu, jaune, rouge, prolifèrent autour des cinq rues principales. La muraille qui l’enserre s’appelle “muraille des Andalous”, un nom évoquant l’histoire troublée qui se cache derrière le calme qui règne aujourd’hui dans ses rues.
Les actuels protagonistes de cette histoire sont les “Andalous” de Rabat, des citoyens marocains qui se proclament avec fierté les descendants des musulmans expulsés d’Espagne au fil des siècles. Mais les premiers protagonistes furent les près de trois mille réfugiés morisques qui arrivèrent à l’embouchure du Bou Regreg au printemps de 1610 et finirent par fonder une légendaire république pirate indépendante, la république de Salé [ou république du Bou Regreg].
José Manuel Fajardo